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Beaux-Arts 4

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PETITE CHRONIQUE DE LA COULEUR

LE VERT : HISTOIRE ET SUPERSTITIONS/ 2

Le 18e siècle apporte ses « lumières » non seulement dans le domaine de l’esprit, mais aussi dans la vie quotidienne ! Les éclairages s’améliorent, les fenêtres s’agrandissent, on voit mieux les couleurs, on leur accorde davantage d’attentions. La chimie des couleurs a fait des progrès, qui favorisent ceux de la teinture et de la production textile. Les tons se diversifient. Mesurable par la physique, produite et reproduite à volonté par la technique, la couleur apparaît pour la première fois de son histoire comme plus ou moins maîtrisée. Alors elle perd un peu de son mystère. On laisse de côté des questions débattues durant des siècles à son propos, telles la morale, la symbolique, l’héraldique, et on s’engoue pour la colorimétrie, la mode et « les couleurs au goût du jour ». Tout cela ne profite guère au vert. Il faudra attendre la fin du siècle pour que la place du vert dans le vêtement ou dans l’ameublement soit plus fréquente. Le 18e siècle, en tout cas jusqu’aux années 1780, est le siècle du bleu ! J’en parlerai dans une autre chronique ! De plus, l’idée circule que le vert et le bleu (le premier dans le cœur des citoyens) s’accordent mal. Et ce vert, ce si mal aimé, ne met pas les femmes en valeur, le soir à la chandelle (tout le monde ne bénéficiait pas encore d’un éclairage adéquat !) ; il s’affadit et tire vers un brun plus ou moins sale. En plus, certaines personnes continuent à croire qu’il porte malheur ! Il passe encore pour dangereux, ayant partie liée avec les démons et les sorcières.

Le vert, c’est la couleur de Satan, du diable, des ennemis de la chrétienté (référence à l’islam dont c’est la couleur fédératrice), des êtres étranges, fées, sorcières, lutins, génies des bois et des eaux, des super-héros, des martiens, petits hommes verts de la SF. Il joue le rôle de l’ailleurs, de l’étrangeté, du fantastique.

On doit à Goethe, dans son fameux « Traité des couleurs », l’idée d’associer chaque couleur à une catégorie sociale. Il fera du vert la couleur des bourgeois et des marchands, du rouge celle de la noblesse, du noir celle du clergé et du bleu celle des artisans et des ouvriers. On est au début du 19e siècle et Goethe voit dans le vert une couleur apaisante.

On pourrait penser que dans cette période romantique, qui voit venir un renouveau de l’attrait pour la nature, que le vert deviendrait une couleur « romantique ». Or, ce n’est pas faux, mais pas tout à fait exact non plus. Peintres et poètes, qui aiment mettre en scène la nature, y voient bien d’autres couleurs que le vert ; il y a l’eau, le ciel, la mer, la lune, etc. Et dans leurs œuvres, on y voit bien davantage du bleu et du noir que du vert !

Pour autant, n’oublions pas la place que le vert a eue précédemment chez ceux qu’on appelle les préromantiques. Là, le vert de la nature, du monde végétal, retient l’attention des poètes et artistes. Ce vert est un refuge, une source d’inspiration, une couleur divine que mettra en scène Jean-Jacques Rousseau dans « La Nouvelle Héloïse » et dans « Les Rêveries d’un promeneur solitaire ». La mode est aux herbiers, à la peinture de paysage.

Mais en ce début du 19e siècle, apparaît alors le vert de la liberté ! La distinction progressive chez les peintres, puis chez les savants, faite entre les couleurs « premières » et les couleurs « secondaires » avait en effet conduit à faire du vert le contraire du rouge. Ce dernier étant depuis longtemps la couleur de l’interdiction, le vert, son contraire, est devenu tout naturellement celle de la permission. D’où la signalisation bichrome qui s’installe dans quelques ports, puis dans la signalisation ferroviaire, puis plus tard dans la signalisation routière.

Plus près de nous …

Il y a un peu plus d’un demi-siècle encore, le sérieux, le légal, l’officiel, le juste, le vrai, s’exprimaient en noir et blanc. Les couleurs étaient pour le frivole, le loisir, le pittoresque, voire la débauche. Couleurs frivoles dont il vaut d’ailleurs mieux se dispenser ! Héritage de la réforme protestante et de sa classification des couleurs en deux groupes : honnêtes ou déshonnêtes. Cette distinction, apparue au 16e siècle, avait encore cours dans la seconde moitié du 19e siècle. Quand les industries commencent à produire à grande échelle des objets de consommation, les couleurs vives sont exclues. Rouge, jaune et vert sont rejetés. Ce n’est en rien dû à des contraintes imposées par la chimie des colorants, mais bien à l’éthique protestante qui était très présente. Jusqu’à fort avant dans le 20e siècle, le grand capitalisme financier et industriel, des deux côtés de l’Atlantique, est aux mains de familles protestantes qui imposent leurs valeurs, leurs normes, leurs principes.

Jusqu’au milieu du 20e siècle, le vert est très timide encore dans les objets du quotidien. C’est dans le monde des jouets, des livres et des images pour enfants qu’il trouve son meilleur rôle entre les deux guerres. Meilleur exemple, celui de Babar, toujours vêtu d’un bizarre costume vert, d’une chemise blanche et d’un nœud papillon rouge. C’est un vert gai ! A l’opposé, cette période a aussi vu se développer des verts très laids, repoussants, mais voulus tels quels, des verts qui se fondent dans le paysage, qui ne se salissent pas, tels les uniformes militaires par exemple. On connaît le kaki (venant d’un terme ourdou signifiant « couleur de terre »). L’adoption de cette couleur a marqué une rupture brutale avec les couleurs vives destinées à être vues de loin et à rendre fier celui qui portait les couleurs emblématiques de son régiment.

Il faut aussi voir l’impact qu’a eu l’intérêt toujours plus grand pour l’hygiène et la santé dans la vie du vert. L’Europe urbaine, dans la seconde moitié du 19e siècle déjà, souffre de pollution et les villes manquent cruellement de verdures. On encourage la création de jardins privés, on encourage le jardinage. On sait maintenant l’intérêt qu’ont les espaces verts pour la santé. Alors on crée des jardins publics, et là, tout est vert, les chaises, le mobilier, les grilles, les kiosques, etc. Le lien se fait alors en toute discrétion entre ce vert végétal et hygiénique et le vert médical, né vers la fin du Moyen Age (pendant des siècles, les remèdes étaient pour la plupart issus du monde végétal). D’abord couleur des vêtements des chirurgiens, le vert est devenu la couleur de la médecine et de la pharmacie. Même si, dans ces domaines, beaucoup d’autres couleurs ont fait depuis leur apparition. Où il faut mettre l’accent sur l’hygiène, la fraîcheur, le vert est présent.

Sur le plan civique et politique également, le vert est revendiqué par différents mouvements et courants d’opinion, plaçant au centre de leurs préoccupations la sauvegarde de l’environnement et les attitudes eco-responsables. Le vert est donc devenu une couleur idéologique et politique.

La véritable force symbolique de cette couleur dans les sociétés occidentales contemporaines, c’est la triade : santé – liberté – espérance. Le vert véhicule une idée de liberté, de naturel, il est riche de multiples espérances, tant pour l’individu que pour la société. Autrefois délaissé, le vert serait-il devenu une couleur que l’on pourrait qualifier de « messianique » ?

Et si l’on résumait ainsi :

Le vert est incertain, il se décolore à la lumière, il s’évapore, il s’obscurcit, il jaunit :
Pendant longtemps, le seuls moyens à disposition pour teindre/peindre en vert étaient d’origine végétale ou minérale, peu fiables quant à la qualité du résultat.

Le vert est dangereux, corrosif, toxique, il engendre des maladies, c’est la couleur du poison :
Quand d’autres moyens de teinture ont été introduits, chimiques, on a obtenu de meilleurs verts plus beaux, plus vifs, mais dangereux pour la santé car toxiques !

Le vert est instable, changeant, le fruit du hasard.
C’est ce qui lui a valu d’être appliqué à tout ce qui est incertain, hasardeux, aux jeux d’argent, à l’envie, à la jalousie, etc.

Le vert est associé à tout ce qui est maléfique, aux démons, aux sorcières, aux fées capricieuses.

La « faute » à La Réforme protestante, et avant elle à l’Eglise catholique. La première ne reconnaissait pas le vert comme « honnête » (et aucune autre couleur vive d’ailleurs), et la seconde l’associait au diable, au démon.

Le vert a passé par toutes phases d’amour, de désamour, de mauvaise réputation, de réhabilitation.

La « faute » aux instances, telles l’Eglise, la Science, à l’inconstance des hommes, aux modes, aux diktats pseudo-scientifiques.

Mais c’est aussi et bien heureusement la couleur de la fraîcheur, de la jeunesse, du calme, de l’harmonie, du naturel … c’est le signe de la liberté, de la croissance.

Un oubli de taille : La fée verte !

Une grande oubliée dans ma petite histoire du Vert : la fée verte ! Votre Fée verte, amies neuchâteloises et jurassiennes !

Mais, je l’espère, vous pardonnerez à une Vaudoise native du Léman l’affront fait à ce mythe bien jurassien ; une vaudoise dont l’enfance n’a pas été bercée par les légendes et histoires troublantes que cette brave « fée » a semées à tous vents ! Même si, pourtant, oui, quelques souvenirs, une bouteille qui n’était sortie que dans les grandes occasions, bouteille sans étiquette, obtenue sous le manteau, au contenu que mon père versait avec précaution par-dessus des cuillères ad hoc confectionnées par ses soins … Rituel d’adultes, où le mot « bleue » revenait souvent, avec plein de regards et de sous-entendus …

Je ne vais pas revenir ici sur l’épopée de la « fée verte », ou « bleue », déjà abondamment documentée dans notre canton ; je vais juste vous donner à lire et apprécier quelques faits et citations que l’on attribue, à tort ou à raison, à l’effet magique et/ou désastreux (c’est selon …) de cette boisson !

D’abord son nom, sa couleur. Nulle trace de vert dans cette eau opaline, brumeuse, ou alors si peu … Il faut sans doute en avoir déjà bien abusé pour apercevoir, comme le dit l’écrivain irlandais Oscar Wilde » une eau vert émeraude » et, cerise sur le gâteau, voir flotter aux alentours des petites fées … vertes !

On trouve pourtant un peintre, Poubarbeau (XIXe siècle), qui l’utilisait comme « nom de couleur », avec une évocation implicite du charme toxique de la liqueur ; il l’associait à la couleur du « charme des yeux » …

Et on doit aussi à Oscar Wilde une citation, disons, d’un cynisme déroutant : « Le premier verre vous montre les choses comme vous voulez les voir, le second vous les montre comme elles ne sont pas ; après le troisième, vous les voyez comme elles sont vraiment. Et il n’y a rien de pire ». Disons qu’il n’avait pas l’ivresse très gaie …

Cette fée verte a contribué à de nombreuses œuvres, voire outrances, artistiques, que ce soit en littérature, avec Verlaine, Rimbaud, Victor Hugo, Edgar Allen Poe, Jack London, ou en peinture, avec Manet, Toulouse Lautrec, Degas, Picasso et j’en passe … qui ont tous à un moment ou à un autre, parlé ou « peint » l’absinthe. On lui prêtait même des vertus particulières capables de susciter l’imagination et la créativité …

On dit aussi que la fameuse oreille coupée de Van Gogh aurait pour origine une dispute entre Gauguin et Vincent. Ce dernier, furieux, lança un verre d’absinthe à la tête de Gauguin et le menaça avec un rasoir. Puis il s’enferma dans sa chambre et se coupa l’oreille … Info ou intox ?

Et puis, s’il fallait encore, à l’époque, un argument en faveur de la dangerosité de cette liqueur (due à la fameuse thuyone, ingérée en excès), on pouvait citer l’apôtre Jean, qui, dans l’Apocalype du Nouveau Testament disait : « Le troisième ange sonna de la trompette : il chut du ciel une grande étoile qui flambait comme une torche ; elle tomba sur le tiers des fleuves et des sources. Cette étoile s’appelle « l’Absinthe ». Ainsi le tiers des eaux tourna en absinthe et bien des gens moururent d’avoir bu ces eaux empoisonnées » !

Je terminerai par ce poème, cité dans « Les buveurs d’absinthe », d’Octave Féré et Jules Cauvain :

Absinthe ! déesse / Aux feux verts, / Près de toi, maîtresse / Sans travers, / Qu’est cette duchesse / De Nevers, / Cette charmeresse / Aux yeux pers ? / Rien qu’une drôlesse ! / Absinthe, déesse / Aux feux verts ! 

Chloé-D. B

Références bibliographiques :

Michel Pastoureau : Histoire d’une couleur, Vert. Ed. Du Seuil.

Michel Pastoureau : Les couleurs de nos souvenirs. Ed. du Seuil

Michel Pastoureau/Dominique Simonnet : Le petit livre des couleurs. Ed. du Panama

Elisabeth Brémond : L’intelligence de la couleur. Ed. Albin Michel

Barbara Blin Barrois : Vert. Ed. Eyrolles.

Et pour la fée verte : L’absinthe et les artistes. Racines comtoises. Patrimoine et photographies de Franche-Comté – Coucou la Suisse : l’absinthe au Val de Travers – Wikipedia

Beaux-Arts 3

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PETITE CHRONIQUE DE LA COULEUR

LE VERT : HISTOIRE ET SUPERSTITIONS / 1

Les superstitions, les croyances liées aux couleurs sont tout à fait indissociables de l’histoire sociale, du rôle de l’Église, des grands de ce monde, des scientifiques et des pseudo-scientifiques, ainsi que de tous ceux – écrivains, philosophes, entre autres – qui se piquaient de vérités concernant le monde des couleurs ! Il faut donc remonter le temps et aller à la rencontre de ce vert au travers des hauts et des bas de notre aventure humaine. Pas facile, parce qu’on se rend vite compte que sa cote a considérablement varié d’une période à l’autre, sans qu’on puisse toujours savoir pourquoi, parce que les raisons en ont été multiples. Il y a des périodes floues, confuses, des périodes où les diktats de la bourgeoisie et/ou de l’Église faisaient foi, d’autres où la frivolité, le paraître, la mode dirions-nous, contrebalançaient les idées reçues et la rigueur ambiante, et d’autres encore, telle notre époque moderne, où la nature, sa protection, sont devenus des thèmes incontournables et ont trouvé leur code couleur emblématique, le vert.

Partons de l’Antiquité. Difficile de savoir exactement comment les civilisations antiques percevaient, et même concevaient les couleurs. On sait que le grec ancien possédait un vocabulaire chromatique extrêmement restreint. Il n’y avait que deux termes qui correspondaient à un champ coloré bien délimité, un pour le blanc et un pour le noir. Un troisième couvrait un champ un peu vague, se situant dans la gamme des rouges. Il semblerait que cela n’ait pas été propre à la Grèce, mais très répandu dans la plupart des langues anciennes. On était plus dans l’expression d’un « sentiment » de la couleur que dans l’expression de la couleur elle-même. On se contentait de notions de clair, sombre, vif, terne, etc. Il semblerait aussi que pour les Grecs anciens, les couleurs de la nature n’étaient pas vraiment des couleurs et que les nommer n’avait guère de sens. Platon, par exemple, estimait que « l’on ne peut parler de couleurs que lorsque celles-ci sont vues et perçues par l’œil humain ! » Tout cela a même contribué à des polémiques sans fin, durant des siècles, quant au fait de savoir si oui ou non les Grecs voyaient les couleurs, et ces thèses ont encore été explorées jusqu’au début du 20e siècle !

Les Romains étaient mieux lotis quant à leur capacité lexicale de nommer les couleurs : Viridis, d’où sont issus tous les mots qui désignent la couleur verte dans les langues romanes. Et le latin avait encore plein d’autres termes pour désigner les différents verts. Alors pourquoi les Romains et pas les Grecs ? Est-ce parce qu’ils étaient avant tout des ruraux ? La vie à la campagne les a-t-elle conduits à être plus attentifs au vert et à nommer cette couleur plus fréquemment ? Ou était-ce dû à une question de technique ? Étaient-ils plus habiles que les Grecs pour teindre et peindre en vert ? Les historiens de la couleur n’ont pas la réponse. De fait, en ces lointaines périodes, les Romains utilisaient peu le vert, cette couleur était surtout présente dans les vêtements des classes les plus pauvres.

Par contre, on sait que dans les mondes barbares (c’est-à-dire ces peuples venant du nord de l’Europe ou d’Asie), le vert abondait, sur les étoffes et les vêtements. En Égypte ancienne, il était même considéré comme bénéfique et très protégé. Les animaux verts, tel le crocodile, étaient des animaux sacrés. Cette couleur était aussi associée aux rites funéraires, censés protéger le défunt dans l’au-delà. C’était la couleur d’Osiris, dieu funéraire, et aussi dieu de la végétation et de la terre. Son visage est souvent représenté dans cette couleur, symbole de fertilité, de croissance et de résurrection. Le hiéroglyphe qui représente la couleur verte est une tige de papyrus, avec une symbolique toujours positive.

Quittons l’Antiquité. Dès les 1ers siècles de notre ère, le vert trouve une place de choix dans les décors. Pour preuves, les nombreux trompe-l’œil que l’on découvre dans les villas romaines. Les peintres disposent de pigments variés pour exprimer cette couleur ; ils peuvent les mélanger, les superposer pour obtenir de beaux effets et nuances, ce qui n’est pas le cas du teinturier ! C’est également l’époque de la polychromie dans l’architecture et la sculpture. Tout, ou presque, est peint, y compris les statues. Sous l’Empire romain, le vert trouve sa place, au même titre que le violet, l’orangé, le rose et même le bleu !

Mais les défenseurs des traditions dénoncent l’arrivée de ces colores floridi, frivoles, vulgaires, trop vives. Ils les opposent aux colores austeri, sages, dignes, que sont le blanc, le rouge, le jaune, le noir. Ils protestent contre ces pigments nouveaux (beaucoup venus d’Orient), contre les pratiques de mélanges qui « dénaturent » les couleurs. Pline, Ciceron, Sénèque, pour ne citer qu’eux, dénoncent ces « modes nouvelles » et font le lit de ce qui deviendra plus tard les morales de la couleur, celles qui distingueront les couleurs honnêtes des couleurs deshonnêtes, morales de la couleur qui, de l’Empire romain à quelques puritains du XXe siècle, trouveront toujours de nombreux adeptes. Dans tous les cas, à leurs yeux, le vert a toujours été classé dans le mauvais groupe ! Notons quand même l’exception notoire, celle de Néron, qui est connu pour avoir adoré le vert ! Il s’habillait en vert, collectionnait les émeraudes, et était porrophage (amateur de poireaux)! Comme quoi, il n’avait pas que des défauts ! Il semblerait que regarder une émeraude avait une vertu thérapeutique, celle d’apaiser la vue ! Les scribes s’en servaient aussi.

Au Moyen Age central, à partir des années 1000, on assiste à une revalorisation de la couleur verte, plus souvent prise en bonne part qu’en mauvaise. Spécialement dans le domaine de l’art et de la poésie. La littérature courtoise en fait la couleur emblématique du monde végétal, mais aussi celle de la jeunesse et de l’amour, et la chevalerie s’en empare aussi sur les champs de tournoi.

Nous sautons à la fin du Moyen Age, là où interviennent des changements dans les techniques de teinture, qui se traduisent par des résultats inégaux sur l’étoffe et le vêtement. Il y a les procédés anciens, les plus répandus encore, qui donnent toujours des verts ternes et grisés. Les procédés nouveaux, plus rares, parfois toxiques, donnent de très beaux verts, lumineux, vifs.

Le tabou du vert chez les comédiens

Il faut remonter assez haut dans l’histoire pour trouver, peut-être, l’origine de ce tabou. On est à la fin du Moyen Age ; la légende raconte comment plusieurs acteurs seraient morts après avoir joué le rôle de Judas, traditionnellement vêtu de vert, de jaune, ou de vert et jaune. Teindre en vert était encore un exercice difficile. Et au théâtre, pour bien identifier les personnages, les couleurs des costumes devaient être franches et vives. Et le vert issu des teintures végétales produisait des tons grisés, délavés. On lui préférait le verdet (sorte de vert-de-gris) obtenu à partir de différents acétates de cuivre. Il était si toxique, par ses vapeurs et ses dépôts sur les vêtements, qu’il pouvait entraîner la mort. D’où la sinistre réputation de la couleur verte dans le milieu des comédiens !

D’autres historiens du théâtre mettent au discrédit du vert le fait que les éclairages utilisés alors laissaient dans l’ombre les tissus et les costumes teints de cette couleur. Cela ne plaisait pas aux comédiens, particulièrement aux femmes …

Mais tout cela doit être considéré dans un ensemble de croyances et d’interdits dans le milieu du théâtre, en France comme ailleurs, qui demeurent encore peu documentés et expliqués.

On disait alors d’un vert aux nuances agréables à l’œil, qu’il était « gai », tandis que celui à la coloration déplaisante était qualifié de « perdu ». Ce n’est donc pas « vert clair » et « vert foncé » comme on l’a souvent compris. Il faut entendre « gai » dans son sens joyeux, et « perdu » parce que la coloration s’en est allée ; ce qui se passait très souvent avec le temps … Mais de toutes les façons, cela reste une couleur qui tient mal ; on dit d’elle que c’est une fausse couleur, une couleur incertaine, changeante, trompeuse, à la fois séduisante et décevante.

Donc, associée à tout ce qui est mouvant ou éphémère – la jeunesse, l’amour, la beauté, l’espérance – et tout ce qui est mensonger, hypocrite. A la fin du Moyen Age, dans les images de cette époque, on voit souvent des personnages « négatifs » vêtus de vert. Tous ont à voir avec l’inconstance, la trahison. « Etre vêtu de vert », c’est être prêt à retourner sa veste ! Cette même couleur se retrouve aussi dans les vêtements de personnages se situant en marge de l’ordre social. Cet attribut donné au vert, on le retrouve jusqu’au 20e siècle. On peut citer en exemple les fameux « bas verts » des prostituées, que l’on peut voir dans certaines œuvres de Toulouse-Lautrec, Matisse, etc.

On associe aussi le vert à l’avarice, l’un des sept pêchés capitaux. Parfois aussi à l’envie et à la jalousie. Le lien entre le vert et l’avarice tient au rapport du vert à l’argent. Cette couleur était depuis très longtemps – bien avant le fameux billet vert (le dollar, qui date de 1861) – celle de l’argent. Il y eut une curieuse manie, celle du « bonnet vert » dont on affublait, dès le 14e siècle, les mauvais payeurs dans plusieurs villes d’Italie du Nord, puis en Allemagne, etc. Cela a donné des expressions telles que « porter le bonnet vert », « coiffer le bonnet vert » pour qualifier « être en faillite ». On peut donner deux sens à cette coutume. Soit c’est la couleur de la folie, celle de se lancer dans des opérations à hauts risques, soit celle de l’espérance, « après cela on va rebondir, reverdir » … Tout ceci énoncé sans certitude, bien sûr. Il semble par contre plus judicieux d’associer cette coutume à l’inconstance déesse Fortune vêtue de vert ; sa roue tourne et entraîne avec elle tous ceux qui lui ont fait confiance !

Du point de vue philosophique, la chance et la malchance vont de paire, la roue de la fortune tourne ! Donc, le vert est la couleur de l’indécision, le visage du destin, c’est une partie en train de se jouer, d’où le vert des pelouses des terrains de sport, des tapis de jeu, des tables de ping-pong, etc.

Dès le 16e siècle, les tables de jeu se couvrent de vert, et plus tard le français qualifiera de « langue verte » le jargon utilisé par les joueurs. Plus tard encore, cette langue verte s’appliquera aussi aux différents argots, devenant ainsi triviale et grossière.

Puis vint la Réforme protestante, et avec elle, la guerre contre les couleurs ! Dans le rituel catholique, la couleur joue un rôle primordial. Il y a tout un code de couleurs pour les objets et les vêtements du culte, ainsi que pour les luminaires, les images peintes, etc. Mais Luther déclare que « le temple n’est pas un théâtre ! » Le système des couleurs liturgiques est supprimé. Même le vert, notre fameux vert, qui était considéré jusque-là comme une couleur possible pour les jours ordinaires, doit céder sa place au noir, au gris, au blanc.

On retrouve cette morale dans les vêtements ; les couleurs vives sont jugées déshonorantes, et le vert est particulièrement visé : c’est la couleur des bouffons, des perroquets (oiseaux inutiles et bavards !) La création artistique est également atteinte, mais le vert étant une couleur de la nature, donc de la création, trouve tout de même quelque grâce aux yeux de certains des grands réformateurs.

La mode est donc au noir, surtout pour les costumes d’apparats. Pour la vie quotidienne, et chez les dames, il y a plus de diversité de couleurs. Mais si le vert y est admis, il s’agit de verts foncés. Henri IV, ainsi que quelques-uns de ces prédécesseurs, adoraient s’habiller en vert, mais cela reste du domaine de l’exception.

Le Vert Galant

Henri IV (16e-17e siècle), après sa mort, fut surnommé le « Vert Galant », surnom très flatteur ! Pourtant, à l’origine, « vert galant » désigne tout d’abord un bandit qui se cache dans les bois pour détrousser les passants et attaquer les femmes ! Par extension, par la suite, il devint synonyme de « gaillard », « séducteur ». Le vert ici symbolise la vigueur sexuelle, les turbulences de l’amour. Peut-être faut-il y voir une allusion au mois de mai, le mois « galant » par excellence, celui du badinage, des galanteries et des amours naissantes. D’ailleurs, dans de nombreuses régions d’Europe, le jeune homme amoureux plante un « vert galant », un arbuste vigoureux et bien feuillu, devant la porte ou la fenêtre de sa belle. Sa croissance accompagnera leur destinée commune.

Dans les salons des « précieuses » et des « précieux », on aime la conversation et on use avec excès des superlatifs, l’expression courante étant « d’un vulgaire » ! Aussi disait-on du vert qu’il est « épouvantablement fâcheux », tandis que le rouge est « épouvantablement glorieux » (évidemment, il manque l’accent … ) ! Est-ce l’influence du cardinal de Richelieu qui, lui, détestait cette couleur, affirmant qu’elle portait malheur ? Pour les gens de lettres et d’esprit, cette couleur est surtout ridicule, car c’est celle des bourgeois enrichis, ou des provinciaux ignorants et rustiques, cherchant à imiter les modes de la capitale. Au milieu du 17e siècle, en France, au théâtre, un personnage vêtu de vert est le plus souvent un héros insolite ou burlesque, prêtant à rire. Alceste, le personnage principal de la pièce de Molière « Le Misanthrope » (1666) est quelqu’un de pathétique et ridicule, à l’image de son costume gris orné de rubans verts. Il semblerait que chez Molière la plupart des héros ridicules portaient du vert dans leur costume, soulignant ainsi le caractère caricatural de leur personnage.

Les fées

Même ambivalence dans les contes merveilleux, genre littéraire dont le 17e siècle est friand. Le vert y est la couleur des êtres surnaturels, notamment des fées. Dans plusieurs pays d’Europe, on les appelle les « dames vertes » (Die grünen Damen, The green fairies) ; en raison de leurs vêtements, leurs yeux, leurs cheveux ou le cadre de verdure dans lequel elles vivent. La fée est souvent capricieuse, elle peut rapidement changer d’humeur, d’apparence ou de signification. Alors il faut la craindre et la respecter.

A suivre

Chloé-D. B