Beaux-Arts 1

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Petite chronique de la couleur

L’envie de me pencher sur l’histoire de la couleur, son symbolisme, ses interprétations, ses techniques de fabrication, ses applications, et toutes les croyances et superstitions qui y sont liées, me taraude depuis longtemps déjà. Alors, inaugurer cette section consacrée aux beaux-arts par une chronique de la couleur m’a semblé adéquat, tant celle-ci est importante, par sa présence ou par son absence, dans les arts visuels.

Une raison plus personnelle m’y incite également. La couleur m’a toujours accompagnée.

Dans mon cerveau de synesthète, elle est là depuis toujours, omniprésente, se révélant dans les sons, dans les rêves, dans les écritures, dans chaque pensée qui me traverse. Elle peut être envahissante, et perturber même, par son flot constant et de façon tout à fait paradoxale, l’accès à ma propre créativité d’artiste peintre ! Le choix d’une couleur à appliquer sur la toile se révèle souvent long et compliqué, tant elles sont nombreuses à se bousculer pour y participer !

Bien loin de considérations hautement scientifiques, pour lesquelles je ne suis pas qualifiée, je vais vous inviter à vous balader dans les recettes, superstitions, traditions, étymologies, croyances, et chez quelques peintres qui ont très bien su illustrer notre couleur du moment. Cela ne pourra se faire en un seul épisode, alors j’espère vous intéresser suffisamment pour vous donner envie de revenir sur le blog.

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Aujourd’hui, je vous emmène à la découverte du vert. Pourquoi le vert ? Disons qu’il s’est imposé. Ce printemps, que ce soit en confinement ou en déconfinement, on n’a pas pu ne pas le remarquer ! Il est partout, dans les champs, les forêts, les jardins, les parcs, les bordures, et en plus, il est d’une vitalité insultante ! Insultante pour nous qui ne pouvions souvent l’appréhender que par petites doses … petites doses, oui, mais tellement vivifiantes ! Et puis, parler du vert au printemps, c’est comme évoquer la cannelle en décembre, ou la courge en novembre, c’est une évidence !

Le vert de la nature … Cela semble un concept inattaquable ! Et pourtant, jusqu’au Moyen Age, la couleur verte n’était pas du tout associée à la nature, parce que celle-ci se définissait uniquement par les quatre éléments, le feu, l’air, l’eau et la terre ! En Occident, on doit attendre l’époque romantique (fin 18e – milieu du 19e siècle environ) et un certain goût pour l’orientalisme (en référence à l’islam primitif, c’est-à-dire à l’étendard vert du prophète Mahomet) pour véritablement associer vert et nature.

Vivifiants, disions-nous ! Voilà le mot clé. Vert, issu du latin viridis, vert, verdoyant, jeune, frais, vigoureux, et de virere, être vert, affirmant ainsi le lien du vert à la verdeur ; il semblerait même qu’on puisse établir un lien avec le latin, vir, homme … Etre encore vert … Tous qualificatifs qui indiquent un rapport très fort entre cette couleur et la vie !

Et pourtant, tel Janus, notre vert à deux visages. Disons surtout que l’humanité, au travers de superstitions, d’absence de connaissances scientifiques, lui a imposé ces deux visages, qui sommeillent encore à quelque part dans notre inconscient collectif.

Aux origines du vert

C’est dans les difficultés liées à l’obtention du vert, soit pour les teinturiers, les enlumineurs et les peintres, qu’il faut chercher la source de toutes les superstitions et de la mauvaise réputation du vert. La nature, pourtant si généreuse en verts lumineux, profonds, éclatants, ne l’est plus autant quand il s’agit d’en extraire les colorants qui participent à sa beauté ! Jusqu’au 17e siècle environ, les pigments extraits des végétaux, tels la fougère, les feuilles de bouleau ou de frêne, l’ortie, le plantain, le jus de poireau, etc., de même que ceux extraits des minéraux, tels que la malachite pilée, les terres vertes (des pigments minéraux naturels de teinte verte, constitués de différents composés silicieux et d’autres minéraux), ont été quasiment les seules sources de « vert » pour les teinturiers, les enlumineurs, les peintres. Ces verts ne donnaient pas satisfaction : ils étaient fades, délavés, et très instables car peu résistants à la lumière et aux lessives.

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Bien sûr, on connaissait déjà la fabrication du vert-de-gris, obtenu par trempage de plaques de cuivre dans de l’acide ou du vinaigre. On sait par exemple que les Romains avaient largement utilisé cette technique dans les peintures murales de Pompéi, Lyon, entre autres. Ils trempaient leurs plaques de cuivre dans la fermentation du vin ! Mais c’est surtout dès le 17e siècle que l’on utilisa cette technique, qui donnait il est vrai de meilleurs verts. Mais elle s’avéra également avoir une action corrosive en attaquant les couleurs voisines ou leur support ! On pense aussi que depuis très longtemps déjà, peintres et teinturiers, peu satisfaits des résultats obtenus par les méthodes traditionnelles, ont cherché à produire du vert en mélangeant du jaune et du bleu. Une hérésie en regard des lois et des traditions ! Méthode faite donc « sous le manteau », car beaucoup de mesures contraignantes étouffaient le travail des teinturiers : par exemple celle qui interdisait à un teinturier de rouge de teindre quoi que ce soit en bleu ! Il fallait des licences pour tout ! On avait une aversion pour les mélanges, aversion héritée de la culture biblique qui imprégnait toute la sensibilité médiévale. Mêler, brouiller, fusionner ? C’était vu comme des opérations infernales parce qu’elles enfreignaient l’ordre et la nature des choses voulues par le créateur ! D’où la crainte et la suspicion éveillées par les forgerons, alchimistes, apothicaires, teinturiers, eux qui trituraient à longueur de temps la matière … Il était donc difficile, matériellement parlant, de faire se rencontrer le jaune et le bleu !

Pourtant on a trouvé moult traités de peinture ou recueils de recettes, appelés « réceptaires », destinés aux peintres, aux enlumineurs, certains même écrits par les peintres eux-mêmes ! Mais bien peu d’entre eux utilisaient ce qu’ils préconisaient, tel Léonard de Vinci, qui avait produit un traité de peinture très complet, mais qui n’appliquait en rien ce qu’il proposait !

Il est donc très difficile de dire exactement de quand date l’apparition d’un vert issu du mélange jaune-bleu. On peut dire sans vraiment se tromper que dès le 14e siècle, en parallèle aux méthodes officielles, dans le secret de leurs ateliers, par expérimentations et tâtonnements, nombre sont ceux qui ont cherché à obtenir des verts par le biais de ce mélange.

Ce sont les 18e et surtout 19e siècles qui ont apporté la découverte de pigments verts et de colorants synthétiques, qui ont rapidement remplacé les pigments et les colorants minéraux et végétaux utilisés précédemment. Ils étaient bien sûr plus stables et brillants, mais certains contenaient des niveaux élevés d’arsenic, et ils ont été finalement interdits !

On pense que cet arsenic, abondamment utilisé dans les teintures d’étoffes pour vêtements et tentures, a pu être à l’origine de l’ « empoisonnement » de Napoléon à Sainte-Hélène. L’arsenic est inodore et s’évapore très vite dans des conditions d’humidité …

Les aléas de sa fabrication, alliés aux croyances et contexte social de certaines époques, vont façonner ce double visage, cette ambiguïté liée au vert, dont je vais parler, dans la prochaine chronique.

A suivre …

Chloé-D. B

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One thought on “Beaux-Arts 1

  1. jerisdemevoirsibelle
    8 juin 2020
    Je me réjouis de lire la suite.

    Catherine M
    11 juin 2020
    Moi aussi je me réjouis de lire la suite

    Chloé-D. B
    11 juin 2020
    En réponse à : Moi aussi je me réjouis de lire la suite

    Je prépare, je prépare … merci pour ton appréciation !

Les commentaires sont clos.

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