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Beaux-Arts 3

Beaux-Arts 3

PETITE CHRONIQUE DE LA COULEUR

LE VERT : HISTOIRE ET SUPERSTITIONS / 1

Les superstitions, les croyances liées aux couleurs sont tout à fait indissociables de l’histoire sociale, du rôle de l’Église, des grands de ce monde, des scientifiques et des pseudo-scientifiques, ainsi que de tous ceux – écrivains, philosophes, entre autres – qui se piquaient de vérités concernant le monde des couleurs ! Il faut donc remonter le temps et aller à la rencontre de ce vert au travers des hauts et des bas de notre aventure humaine. Pas facile, parce qu’on se rend vite compte que sa cote a considérablement varié d’une période à l’autre, sans qu’on puisse toujours savoir pourquoi, parce que les raisons en ont été multiples. Il y a des périodes floues, confuses, des périodes où les diktats de la bourgeoisie et/ou de l’Église faisaient foi, d’autres où la frivolité, le paraître, la mode dirions-nous, contrebalançaient les idées reçues et la rigueur ambiante, et d’autres encore, telle notre époque moderne, où la nature, sa protection, sont devenus des thèmes incontournables et ont trouvé leur code couleur emblématique, le vert.

Partons de l’Antiquité. Difficile de savoir exactement comment les civilisations antiques percevaient, et même concevaient les couleurs. On sait que le grec ancien possédait un vocabulaire chromatique extrêmement restreint. Il n’y avait que deux termes qui correspondaient à un champ coloré bien délimité, un pour le blanc et un pour le noir. Un troisième couvrait un champ un peu vague, se situant dans la gamme des rouges. Il semblerait que cela n’ait pas été propre à la Grèce, mais très répandu dans la plupart des langues anciennes. On était plus dans l’expression d’un « sentiment » de la couleur que dans l’expression de la couleur elle-même. On se contentait de notions de clair, sombre, vif, terne, etc. Il semblerait aussi que pour les Grecs anciens, les couleurs de la nature n’étaient pas vraiment des couleurs et que les nommer n’avait guère de sens. Platon, par exemple, estimait que « l’on ne peut parler de couleurs que lorsque celles-ci sont vues et perçues par l’œil humain ! » Tout cela a même contribué à des polémiques sans fin, durant des siècles, quant au fait de savoir si oui ou non les Grecs voyaient les couleurs, et ces thèses ont encore été explorées jusqu’au début du 20e siècle !

Les Romains étaient mieux lotis quant à leur capacité lexicale de nommer les couleurs : Viridis, d’où sont issus tous les mots qui désignent la couleur verte dans les langues romanes. Et le latin avait encore plein d’autres termes pour désigner les différents verts. Alors pourquoi les Romains et pas les Grecs ? Est-ce parce qu’ils étaient avant tout des ruraux ? La vie à la campagne les a-t-elle conduits à être plus attentifs au vert et à nommer cette couleur plus fréquemment ? Ou était-ce dû à une question de technique ? Étaient-ils plus habiles que les Grecs pour teindre et peindre en vert ? Les historiens de la couleur n’ont pas la réponse. De fait, en ces lointaines périodes, les Romains utilisaient peu le vert, cette couleur était surtout présente dans les vêtements des classes les plus pauvres.

Par contre, on sait que dans les mondes barbares (c’est-à-dire ces peuples venant du nord de l’Europe ou d’Asie), le vert abondait, sur les étoffes et les vêtements. En Égypte ancienne, il était même considéré comme bénéfique et très protégé. Les animaux verts, tel le crocodile, étaient des animaux sacrés. Cette couleur était aussi associée aux rites funéraires, censés protéger le défunt dans l’au-delà. C’était la couleur d’Osiris, dieu funéraire, et aussi dieu de la végétation et de la terre. Son visage est souvent représenté dans cette couleur, symbole de fertilité, de croissance et de résurrection. Le hiéroglyphe qui représente la couleur verte est une tige de papyrus, avec une symbolique toujours positive.

Quittons l’Antiquité. Dès les 1ers siècles de notre ère, le vert trouve une place de choix dans les décors. Pour preuves, les nombreux trompe-l’œil que l’on découvre dans les villas romaines. Les peintres disposent de pigments variés pour exprimer cette couleur ; ils peuvent les mélanger, les superposer pour obtenir de beaux effets et nuances, ce qui n’est pas le cas du teinturier ! C’est également l’époque de la polychromie dans l’architecture et la sculpture. Tout, ou presque, est peint, y compris les statues. Sous l’Empire romain, le vert trouve sa place, au même titre que le violet, l’orangé, le rose et même le bleu !

Mais les défenseurs des traditions dénoncent l’arrivée de ces colores floridi, frivoles, vulgaires, trop vives. Ils les opposent aux colores austeri, sages, dignes, que sont le blanc, le rouge, le jaune, le noir. Ils protestent contre ces pigments nouveaux (beaucoup venus d’Orient), contre les pratiques de mélanges qui « dénaturent » les couleurs. Pline, Ciceron, Sénèque, pour ne citer qu’eux, dénoncent ces « modes nouvelles » et font le lit de ce qui deviendra plus tard les morales de la couleur, celles qui distingueront les couleurs honnêtes des couleurs deshonnêtes, morales de la couleur qui, de l’Empire romain à quelques puritains du XXe siècle, trouveront toujours de nombreux adeptes. Dans tous les cas, à leurs yeux, le vert a toujours été classé dans le mauvais groupe ! Notons quand même l’exception notoire, celle de Néron, qui est connu pour avoir adoré le vert ! Il s’habillait en vert, collectionnait les émeraudes, et était porrophage (amateur de poireaux)! Comme quoi, il n’avait pas que des défauts ! Il semblerait que regarder une émeraude avait une vertu thérapeutique, celle d’apaiser la vue ! Les scribes s’en servaient aussi.

Au Moyen Age central, à partir des années 1000, on assiste à une revalorisation de la couleur verte, plus souvent prise en bonne part qu’en mauvaise. Spécialement dans le domaine de l’art et de la poésie. La littérature courtoise en fait la couleur emblématique du monde végétal, mais aussi celle de la jeunesse et de l’amour, et la chevalerie s’en empare aussi sur les champs de tournoi.

Nous sautons à la fin du Moyen Age, là où interviennent des changements dans les techniques de teinture, qui se traduisent par des résultats inégaux sur l’étoffe et le vêtement. Il y a les procédés anciens, les plus répandus encore, qui donnent toujours des verts ternes et grisés. Les procédés nouveaux, plus rares, parfois toxiques, donnent de très beaux verts, lumineux, vifs.

Le tabou du vert chez les comédiens

Il faut remonter assez haut dans l’histoire pour trouver, peut-être, l’origine de ce tabou. On est à la fin du Moyen Age ; la légende raconte comment plusieurs acteurs seraient morts après avoir joué le rôle de Judas, traditionnellement vêtu de vert, de jaune, ou de vert et jaune. Teindre en vert était encore un exercice difficile. Et au théâtre, pour bien identifier les personnages, les couleurs des costumes devaient être franches et vives. Et le vert issu des teintures végétales produisait des tons grisés, délavés. On lui préférait le verdet (sorte de vert-de-gris) obtenu à partir de différents acétates de cuivre. Il était si toxique, par ses vapeurs et ses dépôts sur les vêtements, qu’il pouvait entraîner la mort. D’où la sinistre réputation de la couleur verte dans le milieu des comédiens !

D’autres historiens du théâtre mettent au discrédit du vert le fait que les éclairages utilisés alors laissaient dans l’ombre les tissus et les costumes teints de cette couleur. Cela ne plaisait pas aux comédiens, particulièrement aux femmes …

Mais tout cela doit être considéré dans un ensemble de croyances et d’interdits dans le milieu du théâtre, en France comme ailleurs, qui demeurent encore peu documentés et expliqués.

On disait alors d’un vert aux nuances agréables à l’œil, qu’il était « gai », tandis que celui à la coloration déplaisante était qualifié de « perdu ». Ce n’est donc pas « vert clair » et « vert foncé » comme on l’a souvent compris. Il faut entendre « gai » dans son sens joyeux, et « perdu » parce que la coloration s’en est allée ; ce qui se passait très souvent avec le temps … Mais de toutes les façons, cela reste une couleur qui tient mal ; on dit d’elle que c’est une fausse couleur, une couleur incertaine, changeante, trompeuse, à la fois séduisante et décevante.

Donc, associée à tout ce qui est mouvant ou éphémère – la jeunesse, l’amour, la beauté, l’espérance – et tout ce qui est mensonger, hypocrite. A la fin du Moyen Age, dans les images de cette époque, on voit souvent des personnages « négatifs » vêtus de vert. Tous ont à voir avec l’inconstance, la trahison. « Etre vêtu de vert », c’est être prêt à retourner sa veste ! Cette même couleur se retrouve aussi dans les vêtements de personnages se situant en marge de l’ordre social. Cet attribut donné au vert, on le retrouve jusqu’au 20e siècle. On peut citer en exemple les fameux « bas verts » des prostituées, que l’on peut voir dans certaines œuvres de Toulouse-Lautrec, Matisse, etc.

On associe aussi le vert à l’avarice, l’un des sept pêchés capitaux. Parfois aussi à l’envie et à la jalousie. Le lien entre le vert et l’avarice tient au rapport du vert à l’argent. Cette couleur était depuis très longtemps – bien avant le fameux billet vert (le dollar, qui date de 1861) – celle de l’argent. Il y eut une curieuse manie, celle du « bonnet vert » dont on affublait, dès le 14e siècle, les mauvais payeurs dans plusieurs villes d’Italie du Nord, puis en Allemagne, etc. Cela a donné des expressions telles que « porter le bonnet vert », « coiffer le bonnet vert » pour qualifier « être en faillite ». On peut donner deux sens à cette coutume. Soit c’est la couleur de la folie, celle de se lancer dans des opérations à hauts risques, soit celle de l’espérance, « après cela on va rebondir, reverdir » … Tout ceci énoncé sans certitude, bien sûr. Il semble par contre plus judicieux d’associer cette coutume à l’inconstance déesse Fortune vêtue de vert ; sa roue tourne et entraîne avec elle tous ceux qui lui ont fait confiance !

Du point de vue philosophique, la chance et la malchance vont de paire, la roue de la fortune tourne ! Donc, le vert est la couleur de l’indécision, le visage du destin, c’est une partie en train de se jouer, d’où le vert des pelouses des terrains de sport, des tapis de jeu, des tables de ping-pong, etc.

Dès le 16e siècle, les tables de jeu se couvrent de vert, et plus tard le français qualifiera de « langue verte » le jargon utilisé par les joueurs. Plus tard encore, cette langue verte s’appliquera aussi aux différents argots, devenant ainsi triviale et grossière.

Puis vint la Réforme protestante, et avec elle, la guerre contre les couleurs ! Dans le rituel catholique, la couleur joue un rôle primordial. Il y a tout un code de couleurs pour les objets et les vêtements du culte, ainsi que pour les luminaires, les images peintes, etc. Mais Luther déclare que « le temple n’est pas un théâtre ! » Le système des couleurs liturgiques est supprimé. Même le vert, notre fameux vert, qui était considéré jusque-là comme une couleur possible pour les jours ordinaires, doit céder sa place au noir, au gris, au blanc.

On retrouve cette morale dans les vêtements ; les couleurs vives sont jugées déshonorantes, et le vert est particulièrement visé : c’est la couleur des bouffons, des perroquets (oiseaux inutiles et bavards !) La création artistique est également atteinte, mais le vert étant une couleur de la nature, donc de la création, trouve tout de même quelque grâce aux yeux de certains des grands réformateurs.

La mode est donc au noir, surtout pour les costumes d’apparats. Pour la vie quotidienne, et chez les dames, il y a plus de diversité de couleurs. Mais si le vert y est admis, il s’agit de verts foncés. Henri IV, ainsi que quelques-uns de ces prédécesseurs, adoraient s’habiller en vert, mais cela reste du domaine de l’exception.

Le Vert Galant

Henri IV (16e-17e siècle), après sa mort, fut surnommé le « Vert Galant », surnom très flatteur ! Pourtant, à l’origine, « vert galant » désigne tout d’abord un bandit qui se cache dans les bois pour détrousser les passants et attaquer les femmes ! Par extension, par la suite, il devint synonyme de « gaillard », « séducteur ». Le vert ici symbolise la vigueur sexuelle, les turbulences de l’amour. Peut-être faut-il y voir une allusion au mois de mai, le mois « galant » par excellence, celui du badinage, des galanteries et des amours naissantes. D’ailleurs, dans de nombreuses régions d’Europe, le jeune homme amoureux plante un « vert galant », un arbuste vigoureux et bien feuillu, devant la porte ou la fenêtre de sa belle. Sa croissance accompagnera leur destinée commune.

Dans les salons des « précieuses » et des « précieux », on aime la conversation et on use avec excès des superlatifs, l’expression courante étant « d’un vulgaire » ! Aussi disait-on du vert qu’il est « épouvantablement fâcheux », tandis que le rouge est « épouvantablement glorieux » (évidemment, il manque l’accent … ) ! Est-ce l’influence du cardinal de Richelieu qui, lui, détestait cette couleur, affirmant qu’elle portait malheur ? Pour les gens de lettres et d’esprit, cette couleur est surtout ridicule, car c’est celle des bourgeois enrichis, ou des provinciaux ignorants et rustiques, cherchant à imiter les modes de la capitale. Au milieu du 17e siècle, en France, au théâtre, un personnage vêtu de vert est le plus souvent un héros insolite ou burlesque, prêtant à rire. Alceste, le personnage principal de la pièce de Molière « Le Misanthrope » (1666) est quelqu’un de pathétique et ridicule, à l’image de son costume gris orné de rubans verts. Il semblerait que chez Molière la plupart des héros ridicules portaient du vert dans leur costume, soulignant ainsi le caractère caricatural de leur personnage.

Les fées

Même ambivalence dans les contes merveilleux, genre littéraire dont le 17e siècle est friand. Le vert y est la couleur des êtres surnaturels, notamment des fées. Dans plusieurs pays d’Europe, on les appelle les « dames vertes » (Die grünen Damen, The green fairies) ; en raison de leurs vêtements, leurs yeux, leurs cheveux ou le cadre de verdure dans lequel elles vivent. La fée est souvent capricieuse, elle peut rapidement changer d’humeur, d’apparence ou de signification. Alors il faut la craindre et la respecter.

A suivre

Chloé-D. B

Beaux-Arts 2

Beaux-Arts 2

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Petit amuse-bouche avant le prochain chapitre …

Morceau choisi de « parler vert » …

« Il était dans les choux. Si cette ‘ mauvaise herbe ‘ ne lui avait pas coupé l’herbe sous les pieds, s’il avait pu couper le mal à la racine, jamais il ne se serait retrouvé à faire le poireau, à trembler comme une feuille … Il s’était fait planté, avec en plus une gueule de bois de derrière les fagots, alors qu’il voulait juste mettre un peu de beurre dans les épinards, vendre sa salade. Mais comme c’était un vrai cœur d’artichaut, plutôt que de verser des larmes de crocodile, ou pire risquer de se faire embarquer dans le panier à salades, il décida de prendre la clé des champs … il trouverait bien quelqu’un d’autre à qui la faire à l’oseille ! Et il n’y aura pas de lézard cette fois ! Sacrebleu, il n’était pas un cornichon quand même ! »

Dès le 16e siècle, les tables de jeu se couvrent de vert et plus tard le français qualifiera de « langue verte » le jargon utilisé par les joueurs. Et plus tard encore, par extension, cette langue verte s’appliquera aussi aux différents argots, devenant ainsi une langue triviale et quelque peu grossière …

Chloé-D. B.

Beaux-Arts 1

Beaux-Arts 1

Petite chronique de la couleur

L’envie de me pencher sur l’histoire de la couleur, son symbolisme, ses interprétations, ses techniques de fabrication, ses applications, et toutes les croyances et superstitions qui y sont liées, me taraude depuis longtemps déjà. Alors, inaugurer cette section consacrée aux beaux-arts par une chronique de la couleur m’a semblé adéquat, tant celle-ci est importante, par sa présence ou par son absence, dans les arts visuels.

Une raison plus personnelle m’y incite également. La couleur m’a toujours accompagnée.

Dans mon cerveau de synesthète, elle est là depuis toujours, omniprésente, se révélant dans les sons, dans les rêves, dans les écritures, dans chaque pensée qui me traverse. Elle peut être envahissante, et perturber même, par son flot constant et de façon tout à fait paradoxale, l’accès à ma propre créativité d’artiste peintre ! Le choix d’une couleur à appliquer sur la toile se révèle souvent long et compliqué, tant elles sont nombreuses à se bousculer pour y participer !

Bien loin de considérations hautement scientifiques, pour lesquelles je ne suis pas qualifiée, je vais vous inviter à vous balader dans les recettes, superstitions, traditions, étymologies, croyances, et chez quelques peintres qui ont très bien su illustrer notre couleur du moment. Cela ne pourra se faire en un seul épisode, alors j’espère vous intéresser suffisamment pour vous donner envie de revenir sur le blog.

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Aujourd’hui, je vous emmène à la découverte du vert. Pourquoi le vert ? Disons qu’il s’est imposé. Ce printemps, que ce soit en confinement ou en déconfinement, on n’a pas pu ne pas le remarquer ! Il est partout, dans les champs, les forêts, les jardins, les parcs, les bordures, et en plus, il est d’une vitalité insultante ! Insultante pour nous qui ne pouvions souvent l’appréhender que par petites doses … petites doses, oui, mais tellement vivifiantes ! Et puis, parler du vert au printemps, c’est comme évoquer la cannelle en décembre, ou la courge en novembre, c’est une évidence !

Le vert de la nature … Cela semble un concept inattaquable ! Et pourtant, jusqu’au Moyen Age, la couleur verte n’était pas du tout associée à la nature, parce que celle-ci se définissait uniquement par les quatre éléments, le feu, l’air, l’eau et la terre ! En Occident, on doit attendre l’époque romantique (fin 18e – milieu du 19e siècle environ) et un certain goût pour l’orientalisme (en référence à l’islam primitif, c’est-à-dire à l’étendard vert du prophète Mahomet) pour véritablement associer vert et nature.

Vivifiants, disions-nous ! Voilà le mot clé. Vert, issu du latin viridis, vert, verdoyant, jeune, frais, vigoureux, et de virere, être vert, affirmant ainsi le lien du vert à la verdeur ; il semblerait même qu’on puisse établir un lien avec le latin, vir, homme … Etre encore vert … Tous qualificatifs qui indiquent un rapport très fort entre cette couleur et la vie !

Et pourtant, tel Janus, notre vert à deux visages. Disons surtout que l’humanité, au travers de superstitions, d’absence de connaissances scientifiques, lui a imposé ces deux visages, qui sommeillent encore à quelque part dans notre inconscient collectif.

Aux origines du vert

C’est dans les difficultés liées à l’obtention du vert, soit pour les teinturiers, les enlumineurs et les peintres, qu’il faut chercher la source de toutes les superstitions et de la mauvaise réputation du vert. La nature, pourtant si généreuse en verts lumineux, profonds, éclatants, ne l’est plus autant quand il s’agit d’en extraire les colorants qui participent à sa beauté ! Jusqu’au 17e siècle environ, les pigments extraits des végétaux, tels la fougère, les feuilles de bouleau ou de frêne, l’ortie, le plantain, le jus de poireau, etc., de même que ceux extraits des minéraux, tels que la malachite pilée, les terres vertes (des pigments minéraux naturels de teinte verte, constitués de différents composés silicieux et d’autres minéraux), ont été quasiment les seules sources de « vert » pour les teinturiers, les enlumineurs, les peintres. Ces verts ne donnaient pas satisfaction : ils étaient fades, délavés, et très instables car peu résistants à la lumière et aux lessives.

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Bien sûr, on connaissait déjà la fabrication du vert-de-gris, obtenu par trempage de plaques de cuivre dans de l’acide ou du vinaigre. On sait par exemple que les Romains avaient largement utilisé cette technique dans les peintures murales de Pompéi, Lyon, entre autres. Ils trempaient leurs plaques de cuivre dans la fermentation du vin ! Mais c’est surtout dès le 17e siècle que l’on utilisa cette technique, qui donnait il est vrai de meilleurs verts. Mais elle s’avéra également avoir une action corrosive en attaquant les couleurs voisines ou leur support ! On pense aussi que depuis très longtemps déjà, peintres et teinturiers, peu satisfaits des résultats obtenus par les méthodes traditionnelles, ont cherché à produire du vert en mélangeant du jaune et du bleu. Une hérésie en regard des lois et des traditions ! Méthode faite donc « sous le manteau », car beaucoup de mesures contraignantes étouffaient le travail des teinturiers : par exemple celle qui interdisait à un teinturier de rouge de teindre quoi que ce soit en bleu ! Il fallait des licences pour tout ! On avait une aversion pour les mélanges, aversion héritée de la culture biblique qui imprégnait toute la sensibilité médiévale. Mêler, brouiller, fusionner ? C’était vu comme des opérations infernales parce qu’elles enfreignaient l’ordre et la nature des choses voulues par le créateur ! D’où la crainte et la suspicion éveillées par les forgerons, alchimistes, apothicaires, teinturiers, eux qui trituraient à longueur de temps la matière … Il était donc difficile, matériellement parlant, de faire se rencontrer le jaune et le bleu !

Pourtant on a trouvé moult traités de peinture ou recueils de recettes, appelés « réceptaires », destinés aux peintres, aux enlumineurs, certains même écrits par les peintres eux-mêmes ! Mais bien peu d’entre eux utilisaient ce qu’ils préconisaient, tel Léonard de Vinci, qui avait produit un traité de peinture très complet, mais qui n’appliquait en rien ce qu’il proposait !

Il est donc très difficile de dire exactement de quand date l’apparition d’un vert issu du mélange jaune-bleu. On peut dire sans vraiment se tromper que dès le 14e siècle, en parallèle aux méthodes officielles, dans le secret de leurs ateliers, par expérimentations et tâtonnements, nombre sont ceux qui ont cherché à obtenir des verts par le biais de ce mélange.

Ce sont les 18e et surtout 19e siècles qui ont apporté la découverte de pigments verts et de colorants synthétiques, qui ont rapidement remplacé les pigments et les colorants minéraux et végétaux utilisés précédemment. Ils étaient bien sûr plus stables et brillants, mais certains contenaient des niveaux élevés d’arsenic, et ils ont été finalement interdits !

On pense que cet arsenic, abondamment utilisé dans les teintures d’étoffes pour vêtements et tentures, a pu être à l’origine de l’ « empoisonnement » de Napoléon à Sainte-Hélène. L’arsenic est inodore et s’évapore très vite dans des conditions d’humidité …

Les aléas de sa fabrication, alliés aux croyances et contexte social de certaines époques, vont façonner ce double visage, cette ambiguïté liée au vert, dont je vais parler, dans la prochaine chronique.

A suivre …

Chloé-D. B

Lettres et Sciences Humaines 1

Lettres et Sciences Humaines 1

Les musées ont rouvert leurs portes le 11 mai. Notre section Lettres et Sciences Humaines avait programmé pour le 12 mai une visite guidée de l’exposition « Le mal du voyage » au Musée d’Ethnographie. Si les visiteurs sont les bienvenus, les visites guidées n’ont malheureusement pas lieu actuellement. Mais ce n’est que partie remise, une autre date de cet événement sera fixée ultérieurement.

Et si dans l’intervalle, à défaut d’en apprendre plus sur « Le mal du voyage », nous parlions du « virus du voyageur » ? Une chose est claire, ce n’est pas une maladie « mortelle ». Vous en connaissez peut-être vous-même les symptômes :
C’est cette sensation de liberté accrue à chaque voyage, à chaque découverte. Ce ressenti d’un manque, d’un besoin viscéral de bouger. Un sentiment qui diffère de celui d’une personne qui aime simplement voyager.

C’est ressentir cette fébrilité immédiate au contact de l’ambiance à l’entrée de l’aéroport. La certitude de prendre l’avion comme on prend le bus. Être physiquement là mais l’esprit déjà ailleurs. L’appel du large, de la nouveauté, la soif de découvrir et de nous découvrir.

C’est jouir, dès que l’avion décolle, de tout ce qui se présente à nos yeux d’incroyablement beau et de grand à travers le hublot. La vue d’en haut est un pur moment de magie.

C’est rencontrer d’autres voyageurs, des personnes de cultures différentes, s’émerveiller devant des paysages différents et sentir des odeurs différentes de chez nous. C’est photographier des endroits insolites, s’arrêter, sourire et remercier la vie.

Être porteur du « virus du voyageur », c’est aussi se sentir en vie !

Isabelle G.